Un peu d'histoire...





À quand peut-on faire remonter l’histoire de cet « écart isolé » ? Au 11 août 1717 très exactement ! C’est en effet ce jour-là que, par acte passé devant notaire en son hôtel particulier de Mâcon, Melchior-Esprit de La Baume (1679-1740), treizième comte de Montrevel et seigneur baron de Lugny, mestre de camp de cavalerie et chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, après en avoir reçu la permission du roi par autorisation du 5 février 1715, vend à Jean Olivier, marchand établi à Saint-Oyen (hameau de Montbellet), pour « le prix et somme de 25 000 livres en principal et 500 livres d’estraines pour [l’] intendant dudit seigneur », la « coupe de tous les bois d’haut de futay et le taillis qui est dessous appelé Les Grands Bois de Lugny, de contenüe d’environ douze cents pozes si ils estoient en terre labourable ».

Plusieurs documents attestent que les lieux – qui, une fois essartés, ne furent pas reboisés et se transformèrent en un vaste « ensemble » de parcelles vouées à l’agriculture – étaient habités au milieu du XVIIIe siècle, le plus pittoresque étant la planche n° 84 de la carte du royaume de France de Cassini qui, publiée en 1759 d’après des relevés effectués quelques années plus tôt, mentionne le Grand Bois et fait apparaître une vaste clairière sur le « plateau » surplombant le bourg de Lugny.

Un bail à ferme du 26 février 1778 cite quant à lui « les quatre domaines du Grand Bois, prés, terre et vigne en dépendant » et confirme que le site était à cette époque la propriété des seigneurs de Lugny, en l’occurrence, à cette date, du comte Florent-Alexandre-Melchior de La Baume (1736-1794), fils du précédent. Quant aux registres paroissiaux de Lugny, plusieurs de leurs actes mentionnent, à partir de 1718, des résidents du lieu (alors dénommé, indifféremment, Les Grands Bois ou Le Bois de Lugny), exerçant d’abord, surtout, la profession de fendeur de bois, charbonnier ou faiseur de tuiles puis, avec les années, celle de granger, laboureur, manouvrier, vigneron. Pas moins de vingt-cinq personnes – réparties en cinq « feux » – vivaient au Grand Bois lors du recensement d’octobre 1791.



Le cadastre napoléonien de la commune, qui date de 1809 et dont le plan parcellaire se compose de neuf planches peintes à l’aquarelle, donne pour sa part une idée précise de ce qu’était le Grand Bois il y a un peu plus de deux siècles : un vaste domaine ceint de bois en limite de Saint-Gengoux-de-Scissé et de Bissy-la-Mâconnaise, mêlant terres cultivées, vignes, prés et bois, et s’organisant autour de quatre longs bâtiments (35 à 40 m) alignés nord-sud servant au logement des habitants du lieu – d’où l’existence de potagers et de vergers jouxtant ces constructions – mais utilisés aussi pour abriter le bétail et conserver les récoltes. Le Grand Bois était alors entre les mains du plus important propriétaire foncier de Lugny, François-Marie Guillon, avocat et juge de paix à Lyon, qui possédait ce qu’il restait du château incendié en 1789 et qui avait acquis les biens du dernier seigneur de Lugny, incarcéré à la prison du Luxembourg (Paris) et mis à mort le 19 messidor an II (7 juillet 1794). On y accédait en gravissant un chemin abrupt qui partait du bourg et coupait à travers les bois pour parvenir aux habitations. En 1825, le « domaine situé audit Lugny appelé les quatre granges du Grand Bois » était la propriété d’un autre Lyonnais, Jacques Alexis Saint-Martin, « propriétaire rue Royale n° 8 », qui le faisait « régir et administrer ».



Un demi-siècle plus tard, ce sont une vingtaine de personnes qui habitent les lieux : vingt-quatre au recensement de population de 1881. À cette époque, une bonne partie du domaine est couverte de vignes, vignes que la crise du phylloxera, qui frappe la commune de 1880 à 1887, obligera à arracher (500 hectares détruits à Lugny). Il ne s’agit toutefois là que d’une parenthèse et, au début du XXe siècle, le Grand Bois, domaine que son exposition idéale voue à la viticulture autant qu’à l’agriculture et à l’élevage, est de nouveau partiellement planté en vignes. Il appartient alors à Claude-Antoine Blanc, riche propriétaire de Lugny, et, chaque année, la vendange est descendue au bourg, où la famille Blanc a non seulement sa demeure (rue de la Folie) mais aussi son tinailler, long bâtiment utilisé pour presser les grappes et mettre en fûts. À la veille de la guerre, le Grand Bois, domaine prospère, atteint le maximum de sa population : trente personnes y sont comptabilisées lors du recensement de 1911.

Passée la Seconde Guerre mondiale, le Grand Bois appartient à Marcelle Blanc, qui en a hérité de son père mort en 1936. Le domaine consiste alors en une vaste propriété de quatre-vingt-dix hectares environ comprenant, outre une trentaine d’hectares de bois, deux exploitations distinctes baillées à des fermiers, l’une de quarante-deux hectares et l’autre de seize (englobant chacune deux des quatre bâtiments).



A-t-on gardé le souvenir du Grand Bois de l’après-guerre ? Oui, et plus particulièrement de la plus importante de ses deux exploitations. Les Grimieau-Papillon, dans le cadre de ce que certains qualifièrent alors de « ferme modèle », s’y consacrèrent en effet à l’élevage. Ils y élevèrent non seulement des cochons – de beaux verrats – mais s’y adonnèrent également à l’aviculture, des préfabriqués ayant même été spécialement assemblés à cet effet. Le Grand Bois disposait à cette époque de silos en béton destinés à l’ensilage, technique moderne qui était alors loin d’être généralisée dans l’agriculture française. « Un essai (et une réussite) d’élevage en plein air se situe au [...] Grand Bois. C’est le domaine de MM. Grimieau et Papillon dont les poussins et porcelets sont admirés dans toutes les expositions. » rapporte un article paru dans la presse locale le 16 janvier 1951. Avant-gardiste, le Grand Bois ? Sans doute, lui qui disposait déjà du téléphone à cette époque et où, depuis vingt ans déjà, l’eau n’était plus tirée du puits mais « remontée » jusqu’aux habitations à l’aide d’une pompe, en provenance de la source coulant en contrebas du domaine (le Grand Bois étant trop à l’écart pour être desservi par le réseau d’adduction desservant les maisons du bourg). Cette belle aventure s’arrêta toutefois au milieu des années cinquante.



En 1958, Marcelle Blanc met en vente la plus grosse des deux exploitations du Grand Bois, qui est alors achetée par Armand Gauthier, agriculteur de Bourgvilain (près de Cluny) qui souhaite y installer l’un de ses deux fils. Ce sera Jean, l’aîné, qui s’y installera, une fois rentré d’Algérie où il fait son service militaire. Quelques années après, au milieu des années soixante, la seconde exploitation du Grand Bois sera mise en vente à son tour ; Jean Gauthier l’acquerra, ce qui lui permettra de réunir les deux exploitations en un seul ensemble et de « reformer » le Grand Bois tel que le domaine se présentait à ses débuts. Célibataire, sans enfant, Jean Gauthier exploitera seul le Grand Bois pendant une trentaine d’années, se consacrant à l’élevage bovin et, dans une moindre mesure, au travail de la terre.

Dans ce contexte, à la fin des années quatre-vingts, il ne reste plus au Grand Bois qu’une cinquantaine d’ares plantés en vignes. C’est là tout ce qu’il subsiste du vignoble qui, au début du siècle, couvrait une part importante du domaine. Jean Gauthier venant du Clunisois et n’étant pas vigneron, il s’est rapproché d’un viticulteur de Lugny, qui l’aide à cultiver cette parcelle (taille et sulfatage notamment). C’est le point de départ de l’actuel vignoble du Grand Bois, qui constitue un clos de 5,15 hectares. En effet, ce viticulteur apprendra l’existence, au cœur du domaine, de quelques hectares de terrain classés en 1936, lors de la création des AOC, en appellation « Mâcon-Lugny », terrain que Jean Gauthier, par amitié, voudra bien lui louer en fermage et qui, à partir de 1989, sera peu à peu planté de pieds de chardonnay.

En 1995, année du départ à la retraite de Jean Gauthier, un nouveau cap est franchi avec la vente du domaine à l’exploitant du vignoble reconstitué (Jean Gauthier continuant néanmoins de demeurer au Grand Bois, jusqu’en 1999). L’activité agricole du Grand Bois, dès lors, se transforme, évoluant vers une agriculture douce dont les principales activités sont d’une part l’accueil du printemps à l’automne de vaches en pension – jamais moins d’une quarantaine de charolaises portant chacune un veau – et, d’autre part, la production de foin. Deux activités auxquelles s’ajoute la culture de la vigne…

S’y est installée en 2011 une structure œnotouristique : Le Clos du Grand Bois, renommée, quelques années plus tard : le Domaine Joseph Lafarge.